Le représentant américain à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Robert Lighthizer, a déclaré en quittant Buenos Aires plus tôt que prévu que la onzième rencontre ministérielle de l’OMC entrera dans l’histoire comme la rencontre qui « marque la fin de l’impasse de l’OMC ». Constat surprenant quand on réalise que l’administration américaine se refuse depuis des années à consentir à une déclaration commune et participe à ne pas souscrire aux discussions multilatérales. Que nous apprend toutefois cet aveu du représentant politique sur le commerce de Donald Trump ?
Les exercices de négociation qui se tiennent tous les deux ans à l’OMC sont devenus des théâtres de disputes systématiques. Elles mettent au prise les pays les plus développés, dans lesquels les États-Unis et l’Union européenne jouent un rôle majeur, et les pays en voie de développement, qui cherchent toujours des ententes globales sur les secteurs qui les affectent le plus, comme le développement et l’agriculture.
Les négociations à l’OMC et le cycle de Doha
Rappelons que le projet d’accord multilatéral mondial de libéralisation, aussi appelé cycle de Doha, a vu son lancement retardé, pour faire suite à la formidable mobilisation sociale de Seattle en 1999. Il fut officiellement lancé en 2001 à Doha et ne devait durer que trois ans. Le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, en constate l’échec en 2006, mais depuis plusieurs prétendent le poursuivre à chaque rencontre de l’OMC. L’échec résulte notamment de l’absence de volonté politique des États-Unis et des autres pays capitalistes avancés, notamment l’Union européenne, de se rendre aux exigences des pays en développement.
Beaucoup espèrent parmi ceux-ci et certains groupes sociaux que des accords multilatéraux puissent être mis en place avec le consentement général. Certains même vont jusqu’à défendre la relance du cycle de Doha. Toutefois, chaque ronde de négociation depuis la naissance de l’OMC n’a donné que très peu de résultats partagés par l’ensemble des membres de l’OMC au niveau des dossiers cruciaux pour les pays en développement, soit l’agriculture, la pêche et le soutien au développement. La rencontre ministérielle de Buenos Aires 2017 ne fait pas exception.
Des ententes ciblées avec des appuis sélectifs
Ce qui est nouveau pour Robert Lighthizer quant à la redéfinition de l’OMC concerne en particulier deux déclarations, une du trio Union européenne, Japon et États-Unis, et une autre, de 70 pays sur les 164 représentés l’OMC, qui porte sur le commerce électronique. Ces deux déclarations sont le résultat de consentement partiel, non prescriptif, qui jette les bases d’orientations plus volontaires quant à l’accentuation de la marchandisation de la vie privée et de la guerre commerciale entre les puissances économiques de la planète. Elle est en tout point conforme avec la politique protectionniste sectaire de Donald Trump, mais également tout à fait conforme à une volonté plus forte encore de libéralisation du commerce mondial.
La guerre commerciale entre le bloc UÉ-Japon-É.-U vs la Chine
Selon tous les observateurs, la déclaration du trio UÉ-Japon-É.-U. affirme leur volonté commune à utiliser tous les forums internationaux y compris de l’OMC pour lutter contre les « distorsions » dans le commerce mondial. Ça proviendrait d’entreprises d’État, de subventions publiques à grande échelle, de conditions de compétition non concurrentielles et de pratiques protectionnistes de pays tiers, une référence évidente à la Chine.
Pas d’entraves au commerce électronique disent 70 pays
La déclaration sur le commerce électronique est particulièrement instructive des réalités de la nouvelle offensive néolibérale. On constate une orientation partagée non seulement par l’administration américaine, mais aussi par 70 pays, qui laissent derrière eux l’Afrique et l’Asie notamment. La figure ci-jointe présente la répartition des membres de l’OMC selon qu’ils sont signataires ou non de cette entente.
Ces pays déclarent s’entendre sur une approche commune, sectorielle, qui s’inscrit dans les règles de l’OMC, mais qui évite l’approche traditionnelle qui suppose l’ouverture de discussions avec l’ensemble des membres de l’OMC. Dans ce cas-ci, on se lance dans une démarche en ne comptant que sur les plus volontaires prolibéralisations du commerce électronique, ce qui permet d’annoncer des propositions qui vont beaucoup plus loin dans la dérèglementation et la marchandisation.
Dans les discussions préalables, en plus d’ouvrir l’accès aux bases de données sur les individus, les objectifs poursuivis par les gouvernements sont notamment d’empêcher l’application de toute réglementation locale ou nationale sur le commerce électronique. Il s’agit aussi d’ouvrir l’accès au numérique, sans avoir à payer les taxes habituelles à la consommation. Pas surprenant que le Canada se retrouve dans les pays signataires, avec la décision qu’i a prise sur Netflix ! Le représentant américain a salué d’ailleurs les nombreux membres de l’OMC qui reconnaissent que l’organisme doit « prendre un nouveau départ dans des secteurs clés ».
America First appliqué à l’OMC
Donald Trump a félicité la ministre des Affaires étrangères de l’Argentine, Susana Mabel Malcorra, pour avoir permis ce genre de résultat à la 11e rencontre ministérielle. Inversement, madame Malcorra a salué l’entente intervenue entre une partie des membres de l’OMC sur le commerce électronique,, reconnaissant la nouvelle tendance des discussions à l’OMC.
À l’instar de l’approche America First, assurément que le nouveau néolibéralisme 2.0 se nourrit de la guerre commerciale sans fin, qui pourrait ainsi se traduire au sein de l’OMC par l’intérêt en premier de tous ceux qui partagent une même volonté prédatrice de libéraliser au maximum le commerce international et d’éliminer toute contrainte à la marchandisation de la vie privée!