Par Claude Vaillancourt
L’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG, souvent appelé CETA, de son acronyme anglais) n’a jamais cessé d’emprunter des chemins cahoteux. Alors que les négociations pour cette entente ont officiellement commencé en 2009, une dizaine de pays européens ne l’ont toujours pas ratifiée treize ans plus tard, et cinq ans après que le gouvernement canadien l’ait fait.
L’Allemagne est le prochain État qui doit se pencher sur la question, un sujet par ailleurs abordé lors de l’actuelle visite du chancelier Olaf Scholz au Canada.
La ratification d’un accord commercial est souvent une formalité après de longues négociations. Mais dans le cas de l’AÉCG, cela ne passe pas comme une lettre à la poste.
La ratification, un parcours tumultueux
La Wallonie a été la première à le remettre en cause, dans une sortie spectaculaire de son ministre-président Paul Magnette. Celui-ci s’inquiétait, entre autres, du peu de respect de la démocratie dans le processus d’adoption de l’accord. Puis a suivi l’île de Chypre, qui a voté contre la ratification, considérant principalement que son célèbre fromage halloumi n’était pas suffisamment protégé, de même que d’autres produits locaux.
En France, l’accord a été ratifié par l’Assemblée nationale, à la suite de débats particulièrement houleux, et avec un nombre plus élevé de votes contre et d’abstentions que de votes en faveur (287 contre 266). Et le Sénat n’a toujours pas été saisi de la question; personne ne semble savoir quand le sujet sera abordé.
En juillet dernier, les Pays-Bas ont enfin approuvé l’AÉCG, après un processus qui s’est poursuivi pendant plusieurs années, maintenant ainsi un long suspense : si un pays de cette importance rejetait cet accord, celui-ci ne pourrait pas survivre… C’est dire les pressions qui se sont exercées sur les élu·es néerlandais·es, qui l’ont finalement adopté avec une faible majorité : 40 votes du Sénat pour et 35 contre.
Un tribunal très contesté
Le tour de l’Allemagne est particulièrement attendu. Le débat dans ce pays est principalement orienté sur un des aspects les plus litigieux de l’entente : le système de règlement de différends entre investisseurs et États qu’on a rebaptisé sous un nouveau nom (anglais, comme il se doit), l’Investment Court System (ICS). Il s’agirait d’un tribunal privé largement à l’avantage des entreprises et qui leur permet de poursuivre les gouvernements sans qu’il n’y ait de réciprocité.
On a vu dans le passé à quel point des tribunaux de ce type sont venus saper des lois adoptées démocratiquement dans le but de protéger l’environnement et de renforcer les protections sociales.
Même si l’AÉCG n’a pas été ratifié par plusieurs pays européens, il a bel et bien été mis en branle et s’applique dans presque tous ses aspects, sauf ce dernier.
L’Allemagne a été l’un des pays les plus mobilisés contre l’entente. En 2016, environ 300 000 personnes ont pris la rue pour protester contre l’accord. La société civile reste toujours aux aguets : une importante déclaration contre la ratification a été signée par de nombreuses organisations, d’Allemagne principalement, mais aussi du Canada.
Remettre en cause le libre-échange
Aujourd’hui, l’AÉCG paraît plus anachronique et discutable que jamais. La grande prospérité économique qui devait en découler ne s’est pas montré le bout du nez, avec des importations et des exportations qui n’ont pas augmenté de façon significative.
Mais surtout, alors qu’il devient urgent de raccourcir les chaînes d’approvisionnement et de produire davantage localement, alors que la protection de l’environnement est plus vitale que jamais, ce type de vieux accords privilégiant le commerce d’abord et avant tout, sans se préoccuper de ses incidences négatives, n’est plus du tout adapté aux besoins de populations du 21e siècle.
Le dilemme des pays européens devant l’AÉCG est aujourd’hui le suivant : ou bien ils acceptent la poursuite d’une politique économique qui a montré à quel point elle était dommageable et ne répondait pas aux nouveaux défis comme le réchauffement climatique, par habitude, ne trouvant pas la force de penser l’économie autrement; ou bien ils renoncent à cet accord, en dépit de la pression contre eux, ce qui nécessite un courage politique encore très rare aujourd’hui.
Les pays qui n’ont pas ratifié l’AÉCG, dont l’Italie et la Belgique, ont surtout choisi jusqu’à maintenant d’éviter le problème, ce qui contribue, de façon peu prononcée, à délégitimer l’accord et empêche la mise en place de l’Investment Court System. Cette stratégie n’est certes pas suffisante pour régler la question une fois pour toutes. Le refus net de l’AÉCG par un pays de l’Union européenne est le miracle qu’on attend pour contribuer à mettre de côté des politiques libre-échangistes nuisibles et penser l’avenir autrement.
Claude Vaillancourt est président d’ATTAC-Québec et membre du RQMI.