Le Canada et les États-Unis face à leur premier différend d’État à État

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Don McCormick

Une année depuis l’entrée en pouvoir de l’administration Biden, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis semblent être encore tendues, notamment, en raison de leurs litiges sur l’accès au marché laitier canadien.

Après avoir échoué à résoudre la question des contingents tarifaires sur les produits laitiers avec le Canada, les États-Unis ont demandé la création du groupe spécial de règlement de différends le 25 mai 2021. Alors que les conclusions confidentielles ont été remises aux parties concernées le 20 décembre 2021, dans un rapport de 50 pages rendu public le 4 janvier 2022, le groupe spécial s’est rangé du côté des États-Unis. La pratique canadienne consistant à réserver ses contingents tarifaires exclusivement à l’usage des transformateurs est jugée incompatible avec l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACÉUM), en particulier, en vertu de son chapitre sur l’agriculture et son article 3.A.2.11(b), selon lequel, le Canada ne doit pas limiter l’accès aux contingents tarifaires aux transformateurs nationaux.

À l’origine du désaccord entre les deux voisins

Jusqu’à maintenant, le marché canadien du lait est protégé par le système de la gestion de l’offre qui, bien qu’affaibli ces dernières années, continue de reposer sur trois piliers :

  • le contrôle de la production, afin que l’offre suffise à répondre à la demande canadienne;
  • l’établissement des prix, qui permet aux agriculteurs d’obtenir un prix juste par rapport à leurs coûts de production, tout en permettant d’éviter une fluctuation importante des prix aux consommateurs;
  • le contrôle des importations pour que l’équilibre sur la marché canadien puisse être maintenu entre l’offre et la demande.

C’est le contrôle des importations qui est en jeu ici et il se concrétise par l’imposition de contingent tarifaire. En pratique, un contingent tarifaire est un mécanisme par lequel un pays impose un droit de douane nul ou faible sur les importations de certains produits jusqu’à une quantité déterminée. Une fois cette quantité importée, le droit de douane sur les importations supplémentaires devient significativement plus élevé. Ces taux plus élevés peuvent représenter, dans le cas des produits laitiers, plus de trois fois la valeur du produit, ce qui rend non rentables les importations au-delà de la quantité initiale du contingent.

Toutefois, en 2020, le Canada a accepté d’élargir ses quotas permettant ainsi à un volume limité de produits laitiers américains d’accéder au marché canadien sans avoir à débourser les droits de douane habituels. Il a accordé à son voisin du Sud un nouvel accès au contingent tarifaire dans 14 catégories de produits laitiers, dans le cadre des concessions qu’il a faites lors des négociations de l’ACÉUM. Bien que le Canada se soit engagé à assouplir son système de gestion de l’offre pour assurer un accès «juste» aux producteurs laitiers américains, selon la version américaine, la quasi-totalité des contingents tarifaires sont accordés aux transformateurs canadiens, qui sont plus enclins à importer des quantités commerciales de fromage bon marché, pour ensuite le trancher, le râper et le vendre à un prix élevé dans les épiceries.

En conséquence, les importations vers le marché canadien se sont orientées davantage vers des produits de moindre valeur, entre autres, les plaques de mozzarella produites en masse pour les pizzas surgelées, plutôt que du fromage de chèvre fin en provenance du Vermont. Plus précisément, 85 % de ces quotas sont attribués aux transformateurs canadiens, tandis que les producteurs et les détaillants canadiens demeurent limités dans leurs importations des produits américains. En 2021, la Canada a importé 2 940 tonnes métriques de fromage en franchise de droits dans le cadre de l’ACÉUM, soit bien moins que le total de 4 160 tonnes disponibles en vertu de l’accord. Plus de la moitié de ce fromage a été de la mozzarella. Le Canada est accusé de ne pas honorer ses engagements, laissant noter qu’il réserve des pools de volume de contingent tarifaire de produits laitiers aux transformateurs, auxquels les non-transformateurs n’ont pas accès.

Une accusation réfutée par le gouvernement canadien, selon lequel les pools réservés ne sont pas eux-mêmes des allocations et que, de toute façon, les non-transformateurs ont accès à une partie du quota, ce qui signifie que ses pratiques sont conformes aux exigences de l’ACÉUM.

Quels enjeux derrière le litige américano-canadien ?

Tandis que l’industrie laitière américaine cherche à augmenter ses exportations de produits laitiers à haute valeur ajoutée vers le marché canadien, les transformateurs canadiens n’ont généralement pas intérêt à importer de tels produits parce qu’ils font concurrence à leurs propres produits. Si une plus grande partie du contingent tarifaire canadien était utilisée pour des produits à valeur plus élevée, la valeur des revenus supplémentaires potentiels pour les fabricants de produits laitiers américains est estimée à environ 200 millions de dollars américains par an. Un manque à gagner qui a poussé le gouvernement américain à contester les pratiques de son homologue canadien en la matière.

En réalité, grâce aux contingents sur les produits laitiers, le Canada s’assure que les transformateurs canadiens importent des intrants de moindre valeur, à l’instar des blocs de fromage de taille industrielle, plutôt que des produits de consommation finis. Ainsi, la transformation de ces intrants en produits finis à haute valeur ajoutée est réalisée au Canada et non pas aux États-Unis. De telles allocations sont nécessaires pour garantir la prévisibilité et la stabilité des importations, notamment, pour faire correspondre l’offre à la demande dans le cadre du système canadien de gestion de l’offre de produits laitiers.

Une décision aux conséquences multiples

En réalité, le présent différend sur les quotas de produits laitiers est tellement épineux, qu’il est nécessaire de nuancer la décision du groupe spécial.

Si le gouvernement canadien n’a pas le droit de réserver les contingents tarifaires en question uniquement aux transformateurs laitiers, il est libre de les allouer aux entités de son choix, à condition qu’il n’empêche pas les producteurs et les détaillants canadiens d’y accéder. Le rapport du groupe spécial a laissé intact le système de gestion de l’offre du Canada pour les produits laitiers. En fait, les États-Unis eux-mêmes ont clairement déclaré dans leurs soumissions au groupe spécial qu’ils ne remettent pas en question le système de gestion de l’offre canadien.

À ce stade, les conséquences économiques de cette décision sur les industries laitières américaine et canadienne restent inconnues, surtout que le gouvernement canadien n’a pas encore rendu publiques les mesures qu’il entend prendre pour mettre ses pratiques en conformité avec la décision. Quelle que soit la manière dont le gouvernement canadien réagira, les exportateurs américains et les détaillants, distributeurs et consommateurs canadiens seront les acteurs les plus affectés. Le Canada dispose de 45 jours à compter du 20 décembre pour se conformer aux conclusions du groupe spécial de l’ACÉUM.

Par ailleurs, pour la première fois, dans le cadre des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, le groupe spécial a autorisé une entité non gouvernementale, le Conseil international des fromages du Canada, à lui soumettre ses constats par écrit. Il s’agit d’une opportunité permettant aux opérateurs laitiers canadiens de participer à ce processus de résolution de différend.

Finalement, en raison des actions menées par le gouvernement américain pour forcer l’organe d’appel à fermer ses portes, organe chargé de résoudre les conflits commerciaux à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le mécanisme de règlement des différends d’État à État pourrait accélérer la résolution des litiges entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

À long terme, le Canada risque de disputer d’autres batailles après avoir perdu le différend sur les produits laitiers avec les États-Unis. Force est de constater que d’autres pays pourraient accuser le gouvernement canadien d’adopter des politiques protectionnistes en matière de produits laitiers, entre autres, la Nouvelle-Zélande qui applaudit la décision du groupe spécial. Par le passé, le gouvernement néozélandais, à plusieurs reprises, a martelé que les contingents tarifaires que le gouvernement canadien applique sont contradictoires à ses obligations en vertu de l’accord de partenariat transpacifique (PTP).

Le système de gestion de l’offre, un système à préserver

Dans sa réponse à la décision du groupe spécial, la ministre du Commerce, Mme Ng, a rappelé que le groupe spécial reconnaisse au moins la légitimité du système de gestion de l’offre du Canada. Un avis que ne partagent pas les acteurs laitiers canadiens qui ont vu leur marché se libéraliser davantage depuis l’entrée en vigueur des trois grands accords signés et ratifiés par le gouvernement Trudeau, à savoir, l’ACÉUM, l’AÉCG, le PTP. En vertu de l’AÉCG, l’Union Européenne a obtenu un allégement des quotas de fromages exportés à destination du marché canadien, passant ainsi la limite à 16 000 tonnes par année.

À partir de 1972, le Canada a mis en place son système de gestion de l’offre permettant non seulement de protéger l’agriculture canadienne, mais aussi de stabiliser les prix sur le marché national.

En pratique, le système de gestion de l’offre s’appuie sur le déploiement des quotas pour deux raisons essentielles, à savoir, pour assurer que la production nationale soit constante et pour atténuer les risques associés à la volatilité des prix, en l’occurrence, dans cinq sous-secteurs agricoles, soit le dindon, le lait et ses produits dérivés, les œufs de consommation, les œufs d’incubation et le poulet. Au-delà de ces quotas, les taxes douanières appliquées sur les importations supplémentaires sont sévères : de 230 à 300 % pour le beurre, le fromage et le yogourt, 240 % pour le poulet, 160 % pour les œufs et plus de 150 % pour le dindon. Bien que les détracteurs de ce système dénoncent sa nature monopolistique et ses conséquences sur les prix jugés artificiellement élevés, les producteurs laitiers canadiens rapportent que les prix sur le marché canadien équivalent à ceux que l’on dénombre ailleurs dans le monde. Alors que le prix détaillant d’un litre de lait frais est estimé en moyenne à 1,50 $ au Canada, il est de 1,83 $ en Nouvelle-Zélande, 1,77 $ en France, 1,12 $ aux États-Unis, et 1,23 $ en Allemagne.

Outre ces avantages économiques, le système de gestion de l’offre permet sur le plan social, selon les producteurs de lait du Québec, d’assurer un revenu décent aux agriculteurs, sans que ceux-ci aient besoin de faire appel au gouvernement. 80 000 emplois pourraient disparaître si le système de gestion de l’offre est aboli.

Sans oublier que le système de gestion de l’offre est un incitatif aux producteurs laitiers canadiens pour adopter des pratiques écoresponsables. De 2011 à 2016, la production d’un kg de lait a nettement diminué son impact environnemental, et ce, en réduisant son empreinte carbone de 8,7 %, sa consommation d’eau de 12,5 % et son utilisation des terres de 16,2 %, selon les producteurs de lait du Québec.

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