À l’occasion de la rencontre de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), quelques organisations ont pris l’initiative de la rédaction d’une lettre ouverte aux délégations des gouvernements membres de cette commission pour exprimer leur opposition à ce mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIÉ). Le CNUDCI a convenu de mettre en place un comité en vue de revoir les principes et les règles de ce mécanisme dans les accords commerciaux. Parmi les organisations derrière l’initiative, on retrouve Public Citizen, Friends of the Earth Europe, Center for International Environmental Law, Trade Justice Pilipinas, SOMO, Client Earth, notamment.
- Pour ajouter le nom de votre organisation: bit.ly/lettreCNUDCI
- Pour prendre connaissance de l’ensemble des organisations qui appuient le contenu de la lettre au 26 juin, en cliquant ici.
En tant que représentants des organisations de la société civile à travers le monde, nous réitérons notre opposition sans équivoque au mécanisme de règlement des différends entre investisseur et États (RDIE) (Investor-State Dispute Settlement – ISDS) et aux droits considérables accordés aux investisseurs étrangers dans les traités de commerce et d’investissement. Le RDIE et le modèle des traités d’investissement permettent à un groupe d’intérêts — celui des sociétés multinationales et des investisseurs — de poursuivre les gouvernements en dehors des systèmes judiciaires nationaux pour des montants illimités d’indemnisation, y compris pour la perte d’hypothétiques profits futurs. Une vaste gamme de lois nationales, de décisions judiciaires, de règlements et d’autres actions des gouvernements sont la cible de telles attaques, y compris des politiques non discriminatoires promulguées afin de promouvoir le bien-être public.
Ces dernières années, cet aspect, autrefois obscur, du régime international de commerce et d’investissement a suscité de plus en plus de critiques: un nombre croissant de représentants de gouvernements provenant de différents horizons politiques, de petites entreprises, d’universitaires, de juristes, d’organisations de la société civile et de syndicats du monde entier ont publiquement exprimé leur opposition au RDIE et ont exhorté les gouvernements à se retirer d’un tel mécanisme. Alors que le nombre de poursuites au titre de ce mécanisme a explosé depuis quelques années, et que des entreprises ont gagné des milliards grâce à ces poursuites contre un large éventail de politiques promouvant le bien-être public, certains gouvernements ont commencé à mettre fin aux traités qui incluent ce mécanisme de RDIE et à rejetter les nouveaux accords de commerce et d’investissement qui accordent aux investisseurs étrangers des droits excessifs et un accès à un tel mécanisme.
Dans le contexte de cette réaction mondiale contre le mécanisme de RDIE, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) — un organisme des Nations Unies qui a toujours traité des enjeux commerciaux internationaux et qui est largement dominé par l’industrie de l’arbitrage — a mis sur pied le Groupe de travail III pour « identifier et tenir compte des préoccupations concernant le RDIE; examiner si une réforme était souhaitable à la lumière des préoccupations identifiées; et élaborer des solutions pertinentes à recommander à la Commission, si le Groupe de travail devait conclure qu’une réforme était souhaitable. » Nous saluons les gouvernements membres de la CNUDCI pour avoir reconnu que le mécanisme de RDIE actuel est politiquement et économiquement indéfendable.
Néanmoins, après deux réunions du Groupe de travail III de la CNUDCI, il est devenu clair que la portée des discussions est loin d’aborder les failles fondamentales d’un régime international d’investissement qui permet à une classe déjà puissante de la société — les investisseurs étrangers — de contester les lois d’intérêt public en dehors des tribunaux nationaux. Nous soutenons de nombreuses critiques soulevées par les gouvernements dans les discussions de la CNUDCI sur les déficiences du mécanisme de RDIE, dont les coûts élevés pour les gouvernements et le manque de transparence des procédures, le manque de cohérence des sentences, le très problématique processus de nomination des arbitres, le manque d’exigences éthiques des arbitres, et les effets pervers du financement de l’arbitrage par de tierces parties. Pourtant, ces problèmes ne représentent qu’une petite partie des failles et des nombreux dangers du mécanisme de RDIE et du régime des traités d’investissement.
Le processus du Groupe de travail III de la CNUDCI n’entraînera aucun changement significatif à moins qu’il n’examine ce mécanisme dans son ensemble, en incluant la question de savoir s’il atteint ses objectifs, et à moins que les droits considérables accordés aux entreprises multinationales dans les dispositions sous-jacentes des traités soient éliminés.
Nous rejetons spécifiquement les tentatives de l’Union européenne (UE) de mettre en avant un projet de « cour multilatérale d’investissement » comme une « solution » dans le processus du Groupe de travail III de la CNUDCI. Cette proposition de l’UE, non seulement ne résoudrait pas la plupart des failles fondamentales du mécanisme de RDIE et du régime actuel des traités d’investissement, mais semble conçue pour maintenir intacts plusieurs des caractéristiques (et failles) les plus dommageables du RDIE. Les modifications procédurales proposées par l’UE ne limiteraient pas les droits extraordinaires accordés uniquement aux investisseurs étrangers et qui vont au-delà des lois nationales. Encore plus fondamentalement, la proposition de l’UE continuerait à permettre aux investisseurs étrangers de défier les politiques non discriminatoires, y compris celles qui protègent la santé, l’environnement et qui promeuvent les normes du travail, en dehors des tribunaux nationaux. Une telle « cour multilatérale d’investissement » verrouillerait complètement le régime des traités d’investissement à un moment où les gouvernements envisagent judicieusement de se retirer complètement du système.
Au lieu de se concentrer sur des ajustements procéduraux en marge du mécanisme de RDIE, les gouvernements de la CNUDCI devraient se pencher sur sur l’abandon total du régime actuel des traités d’investissement. Par conséquent, la CNUDCI pourrait se concentrer davantage sur les problèmes structurels du système et faciliter la discussion sur la fin ou le remplacement en bloc des traités d’investissement existants sans que les pays soient tenus de respecter les clauses de « survie ».
Nous appelons nos gouvernements à ne plus signer de nouveaux accords de commerce et d’investissement qui incluent ces droits extraordinaires accordés aux investisseurs étrangers, à mettre un terme aux traités contenant le mécanisme du RDIE, et à utiliser le procéssus au sein de la CNUDCI pour remédier aux problèmes fondamentaux du système actuel. Cela signifie que les gouvernement doivent rejeter la proposition européenne de « cour multilatérale d’investissement », l’établissement d’un mécanisme d’appel, ou toute autre tentative d’institutionnalisation ou de renforcement du régime de l’arbitrage d’investissement.
Cordialement.
Le 26 juin 2018
- Pour ajouter le nom de votre organisation: bit.ly/lettreCNUDCI
- Pour prendre connaissance de l’ensemble des organisations qui appuient le contenu de la lettre au 26 juin, en cliquant ici.