Le Sommet des Peuples « Dehors l’OMC – Construisons la souveraineté » s’est rassemblé du 11 au 13 décembre 2017 à Buenos Aires, en Argentine, face à la XI Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) organisée dans cette ville.
Nous, le Sommet des Peuples, composé de réseaux sociaux et organisations syndicales, territoriales, étudiantes, politiques, paysannes, anti-extractivistes, autochtones, de femmes et de droits de l’homme, entre autres, du monde entier, réaffirmons notre rejet des politiques de libre-échange de l’OMC.
L’OMC reflète les intérêts d’un capital transnational aujourd’hui bien plus concentré, visant à éliminer les obstacles à la libre circulation de biens, services et capitaux. Elle représente une organisation qui ne prend en compte que les besoins du capital, promouvant ainsi la reproduction de relations capitalistes d’exploitation et de pillage ; politiques qui affectent les droits historiquement conquis à travers la lutte des peuples du monde entier.
Les multinationales agissent sous l’égide d’une architecture de l’impunité qui englobe le système de la dette, les accords de libre-échange (ALE), la protection des investissements ainsi des organisations multilatérales telles que l’OMC, générant ainsi une globalisation basée sur la quête du profit. Dans ce contexte, la Dette publique est devenue un des moyens privilégiés pour l’expansion capitaliste, la concentration des richesses, l’inégalité et l’oppression. Cet outil subordonne le modèle de production et de consommation à l’obligation de payer des intérêts toujours plus croissants.
C’est pourquoi nous nous engageons à analyser l’impact ainsi que les répercussions que la dette implique pour les multiples formes de résistance, à dénoncer son illégitimité (en démontrant ce qui est vraiment dû à qui), et à construisant un horizon d’espoir et de transformation en nous positionnant comme Créanciers des Peuples des dettes non seulement économiques, mais aussi sociohistoriques, écologiques, démocratiques, de genre, etc. Nous devons continuer à construire à partir des luttes des peuples pour faire avancer ce processus et agir entre autres via des audits citoyens complets de la dette, des tribunaux éthiques et des consultations populaires.
Contre le pouvoir corporatif, qui personnifie la spoliation des territoires par les entreprises transnationales, nous nous engageons à globaliser les luttes et renforcer les liens et les articulations entre les peuples en résistance. Nous devons continuer à nous battre pour parvenir à un traité international qui puisse garantir le respect des droits de l’homme par les transnationales. Nous devons contester l’espace législatif et judiciaire, dénoncer la façon dont les lois sont violées, tordues, mal interprétées et adaptées aux intérêts de ces entreprises. Nous devons maintenir l’autonomie des mouvements sociaux par rapport aux gouvernements et faire preuve de solidarité envers les peuples, communautés et organisations persécutés et réprimés.
La libéralisation des flux commerciaux et financiers impacte inégalement les vies quotidiennes des femmes et exacerbe les inégalités et la pauvreté en faisant croitre le chômage, l’informalité et la financiarisation compulsive de nos vies, approfondissant ainsi toutes les formes de violence patriarcale. Les femmes, lesbiennes, trans, travestis, bisexuels, gais, non-binaires, afro-argentines, d’ascendance africaine, migrantes, déplacées, réfugiées, autochtones, noires, paysannes, travailleuses autogérées, réunies au forum et à la grande Assemblée féministe contre le libre-échange, nous affirmons notre lutte anti-patriarcale, antiraciste et anticapitaliste.
Nous exprimons donc notre rejet de la Déclaration de l’OMC sur le libre commerce et l’autonomisation économique des femmes, fondée sur de fausses déclarations et une vision réductionniste de l’autonomisation économique des femmes. Les données fournies par l’économie féministe démontrent que les processus de libéralisation du commerce ont été préjudiciables pour la plupart des femmes. Les règles commerciales promues par l’OMC menacent les moyens de subsistance des femmes dans les milieux urbains et ruraux ainsi que des femmes autochtones, africaines et quilombolas et favorisent la dépossession de leurs territoires, limitent l’accès des femmes aux politiques publiques en matière d’accès à l’eau, la santé, l’éducation ainsi que les médicaments, et favorisent des formes de production fondées sur le nivellement vers le bas de toutes les normes de travail, de salaire et de protection sociale, ce qui nous affecte particulièrement. Nous répudions donc l’utilisation politique de nos luttes et nos demandes pour sauver un sommet raté. Pas en notre nom !
Les accords de l’OMC entravent l’accès aux droits des travailleurs/travailleuses migran.e.s et de leurs familles. La priorité exclusive de la valorisation du capital encourage l’exploitation du travail des migran.e.s. La recherche croissante d’investissements étrangers conduit à la signature d’accords commerciaux qui favorisent la mondialisation et les flux de capitaux, tandis que la mobilité des personnes dans le monde est criminalisée et remise en question.
La reconnaissance de la migration en tant que droit de l’homme (au niveau national, régional et mondial) doit ouvrir un espace de débat sur la liberté de transit dans les territoires et sur la construction d’une citoyenneté universelle. Afin de défendre ce droit de l’homme, il est important de promouvoir la participation politique ainsi que les économies durables, indépendantes et solidaires qui conduisent au développement local et régional des communautés de migrant(e)s.
L’OMC et les ALE sont responsables de l’expansion et l’accélération de la conversion de nos aliments en marchandises, ce qui a entraîné la plus grande crise alimentaire que l’humanité a subie. Actuellement, plus de 50% de la population mondiale souffre de la faim, de la malnutrition ou d’obésité et de surpoids. Ces politiques soutiennent simultanément la destruction, le pillage et la contamination de nos territoires, desquels sont chassées les communautés autochtones et paysannes, mettant ainsi en péril leur existence et leur culture. L’agro-industrie et l’extraction inconsidérée des combustibles fossiles sont principalement responsables des deux crises socioécologiques les plus importantes auxquelles nous sommes confronté.e.s aujourd’hui: la crise climatique et l’extinction massive de la biodiversité.
Face à cette situation, nous promouvons une alternative basée sur le principe de souveraineté alimentaire qui sous-entend et s’accompagne d’une production paysanne agroécologique, considérant les graines comme patrimoines des peuples au service de l’humanité. Nous proposons des réformes agraires intégrales et populaires, des marchés locaux et avant tout la voix des paysannes et des paysans comme protagonistes fondamentaux dans la prise de décisions des politiques agricoles.
L’OMC et les ALE se cachent derrière le masque des « alternatives vertes », mais ne cesse d’encourager les modèles extractivistes, en particulier l’extraction minière et l’extraction de combustibles fossiles. Dans la même logique, l’eau est aussi considérée comme une marchandise et non comme un droit fondamental. Nous sommes conscient(e)s qu’il n’y a pas d’alternatives pour la vie sur la planète au sein du capitalisme, un système qui nous exploite, qui nous contamine et qui nous tue. Afin de surmonter ces contradictions, nous promouvons des alternatives populaires, telles que le modèle de “Buen Vivir” proposé par différents peuples autochtones; l’écoféminisme; l’écosocialisme; et les pratiques concrètes telles que la souveraineté énergétique, l’agroécologie et la permaculture qui ont le potentiel de devenir des alternatives systémiques au capitalisme si appliquées collectivement, et non de manière individuelle.
Les expériences sociales qui ont lieu dans le cadre d’une économie populaire et autogestionnaire représentent non seulement une manifestation de la survie des peuples, mais aussi de leurs résistances face aux conceptions de la rationalité capitaliste. En utilisant les moyens de production mis à notre disposition – nous permettant de revendiquer nos droits en tant que travailleurs – nous pouvons penser la construction d’espaces de pouvoir contestant le modèle hégémonique. De ce point de vue, nous basons nos alternatives sur le rôle d’expériences productives sans employeurs, sur notre expérience de la marginalité et sur notre profonde identification en tant que classe. Le choix entre continuer dans une économie capitaliste des pauvres ou aller de l’avant dans la construction d’un projet alternatif dépend de nous. Il ne s’agit pas seulement de lutter pour le pouvoir afin d’obtenir la société que nous voulons, mais aussi de construire les routes pouvant nous rapprocher de cette société. Nous devons reprendre à l’Etat ce qui nous appartient tout en consolidant un pouvoir alternatif basé sur une économie des peuples, par les peuples et pour les peuples.
Le libre-échange menace le droit à la santé et entraine la précarisation des systèmes de santés publiques, ce qui a de graves conséquences pour la vie des gens. La santé et les médicaments ne devraient pas être réglementés par l’OMC, car la santé est un droit de l’homme et non une affaire et les médicaments sont un bien social et non une marchandise. Les accords commerciaux de l’OMC ne répondront jamais aux besoins de la santé publique. L’accent mis sur les intérêts du marché au détriment de la santé publique, favorise le capital transnational, qui, par des prix abusifs et des taxes injustes imposées par les grandes entreprises pharmaceutiques, entraine la maladie, le désespoir et la mort des peuples.
Par conséquent, la souveraineté en matière de santé implique le maintien de modèles de santé publique garantissant la primauté de l’intérêt public et de la justice sociale. À cet égard, nous demandons la suspension de l’Accord sur les Droits de Propriété intellectuelle liés au Commerce (ADPIC) de l’OMC pour les technologies de la santé; nous rejetons tout accord commercial portant atteinte à l’accès aux médicaments, tel que le traité entre l’Union européenne et le MERCOSUR; nous demandons de nouveaux modèles de R et D (Recherche et Développement) pour promouvoir les technologies gratuites et accessibles à tous les peuples, quel que soit le pays ou la région où ils vivent, et dont les résultats (données, processus et produits) sont considérés comme des biens communs.
Le libre-échange et l’OMC promeuvent un ensemble d’initiatives visant à transformer l’éducation en marchandise, par la pénétration de logiques commerciales et de privatisation avec des degrés de visibilité plus ou moins grands. Ainsi, les droits sociaux et éducatifs sont menacés par la logique du marché, les droits de propriété et le capital visant à faire de l’éducation un service commercialisable.
D’autre part, la souveraineté éducative constitue le droit que nous avons en tant que peuples à l’autodétermination de la façon dont nous voulons nous éduquer, avec quelles valeurs et de quelle manière. Au milieu de la crise civilisationnelle que nous traversons, nous proposons des formats éducatifs alternatifs, des formes plus horizontales de participation ainsi que des contenus et des valeurs qui expriment des alternatives politiques et sociales.
Les politiques de libre-échange sont impossibles sans un solide appareil de sécurité et de répression qui accompagne la mise en œuvre des politiques d’austérité. L’augmentation des bases militaires à l’échelle mondiale reflète cette situation, ainsi que l’utilisation de la force de police au sein des États. La militarisation implique le génocide et le silence de peuples entiers pour la poursuite des besoins du capital. Nous exigeons le retrait des troupes d’Haïti. Nous exigeons la libération et de la décolonisation de la Palestine, la fin du régime d’apartheid, nous adhérerons au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanction et nous condamnons fermement la décision unilatérale américaine de reconnaître Jérusalem comme la capitale de l’État sioniste d’Israël.
L’alternative au militarisme et à la guerre perpétuelle, représentant l’impérialisme sous toutes ses formes et en particulier sous sa forme sioniste, est la croissante résistance unifiée des peuples et des États. L’impérialisme est l’une des causes principales des guerres dans le monde, de la course aux armements, de génocide, torture, mensonge de masse, action psychologique terroriste, des assassinats ciblés et des massacres de civils ainsi que la formation et de la performance de forces terroristes paramilitaires comme ISIS.
En vue de l’an prochain, le Sommet des Peuples appelle à tous les peuples du monde à se mobiliser contre le Sommet présidentiel du G-20 qui se tiendra à Buenos Aires en 2018. Le G-20, comme l’OMC et tous les ALE, reflète uniquement la soif de profit des entreprises et non les besoins des gens. Ce n’est pas une coïncidence que l’Argentine organise à la fois l’OMC et le G20: ce pays veut se présenter comme un leader régional dans la libéralisation du commerce. Pour cette raison, la mobilisation de nos peuples est cruciale. C’est nous qui devons élever notre voix et faire entendre nos propositions alternatives à la crise du climat et de la civilisation.
De même, nous appelons à construire une grève internationale des femmes le 8 mars prochain, basée sur une large vision du travail prenant en compte nos réalités hétérogènes. Il n’y aurait pas de capitalisme sans le travail domestique non rémunéré de femmes.
Les organisations et les mouvements sociaux du Sommet des Peuples « Dehors l’OMC » appellent aussi à la poursuite et la continuité des luttes de résistance face à l’offensive du capital internationale contre les droits des peuples, à travers une construction collective du Forum social mondial 2018 à Salvador , Bahia au Brésil, du 13 au 17 mars. Résister c’est créer, résister c’est transformer !
La résistance mondiale a été vue et entendue à Buenos Aires. Une fois de plus, partout où iront les grands forums mondiaux, la résistance des peuples qui se battent pour leurs droits les attendra.
Dehors l’OMC !
Dehors le G-20 !
L’Assemblée des Peuples
Le Sommet des Peuples « Dehors l’OMC– Construisons la souveraineté »
13 décembre 2017
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